Colloques

Troubles du comportement, passages à l'acte, clinique de l'agir

 

Cette journée d'étude a été organisée en collaboration entre les membres de l'APSPI et le Collège des Psychologues

Le célèbre poète Rainer Maria Rilke est un homme tourmenté, mélancolique, qu’une leucémie emportera à l’âge de 50 ans. Des états d’angoisse qui le traversent et qui provoquent des moments de dépersonnalisation, on en retrouve les traces dans la correspondance qu’il entretient avec Lou Andréa Salomé avec laquelle il a vécu une histoire d’amour enflammée, puis une relation d’amitié réciproque et d’admiration mutuelle qui durera jusqu'à la fin de leur vie. En voici un extrait : « Et qu'il m'en coûte de m'accrocher à l'essentiel ! Toutes les petites choses de la vie de tous les jours interviennent aussitôt, les soucis d'argent, des ennuis et des incidents insignifiants, les portes, les odeurs, les heures qui sonnent toujours pour vous donner des ordres. Tout cela prend la parole sans le moindre égard, avec l'indiscrète volubilité du quotidien... je ne suis que le lieu d'une succession de rencontres, simple passage et non maison. Je me fais l'effet d'une plaque photographique surexposée  ». Rilke, pris d’angoisse, passe à l’acte en fuyant à Rouen : « Toute une cathédrale n'était pas trop pour dominer mon énorme vacarme intérieur». La désorganisation, le « vacarme intérieur » de Rilke est tel qu’il finit par se décharger dans l’acte et seule une contenance aussi solide que la Cathédrale de Rouen peut l’apaiser et lui permettre de retrouver un peu de paix intérieure. Comme le souligne Gilbert Diatkine dans ses travaux récents, c’est surtout Lou Andréa Salomé qui assure cette fonction de holding durant de nombreuses années.

L’institution peut constituer un lieu d’accueil et de contenance à la manière de cette cathédrale qui contient le débordement que connaît Rilke. Lieu d’accueil, mais surtout lieu de transformation de l’énigme comportementale apparemment désorganisée que nous amène celui qui nécessite des soins en institution. « Des énigmes adressées, en quête de destinataires : l’institution représente cet espace privilégié pour l’accueil et le décryptage de l’énigme, à la condition qu’elle investisse une position suffisamment soignante.»

En premier lieu, l’agir constituerait une énigme à décrypter : plus qu’une simple décharge, il traduirait un message. Ensuite, il s’adresserait à quelqu’un, serait « en quête d’un destinataire ». Et enfin, pour que de l’agir désorganisant, advienne une signification, cela suppose une position particulière de l’équipe soignante au sens large. Comment l’institution contient-elle d’une part et traite-t-elle les agirs des patients d’autre part ?

L’agir : une énigme à décrypter…

L’agir comportemental ne peut être réduit à une simple production neurologique, et ce même dans les cas d’atteintes cérébrales. A ce titre, on observe que les troubles du comportement sont très variables en intensité et présentent des tableaux cliniques très divers, même lorsque les troubles cognitifs restent stables dans le temps, ce qui indique combien ils sont une création subjective et sont sensibles à ce que l’environnement peut déployer pour les apaiser, les faire cesser. L’agir peut être considéré soit comme un palliatif, soit un remède à l’effondrement, soit une modalité d'élaboration de la détresse archaïque, voire une suppléance au sentiment d’inexistence, ou une contenance quand l’excitation déborde puisque cette excitation se trouve alors projetée sur une zone corporelle définie à laquelle s’associe une forme de plaisir autorégulé et la possibilité de s’en délester. Dans la lignée d’une sauvegarde de soi, l’agir aurait une visée double, celle de se sentir exister par l’intermédiaire des sensations, et d’en trouver une preuve dans l’autre, nouant ainsi subtilement les enjeux de l'auto-érotisme et de la relation d'objet. L’acte permet ainsi sans parole de pouvoir montrer un peu de son auteur, de rester en contact avec l’extérieur et être en même temps un ersatz de satisfaction.

D’autre part, le message délivré dans l’acte est le plus souvent un message affectif. D’ailleurs, si l’on suit le modèle de l’hystérie, nous savons que ce qui se décharge dans le corps via la conversion est essentiellement l’affect. De la même manière, l’acte permet au sujet de faire l’économie d’un éprouvé affectif intolérable, ou tout au moins d’une excitation envahissante et impossible à transformer par les voies psychiques. A l’inverse, dans un rapport économique de vase-communiquant, la contention/contenance des troubles du comportement peut laisser apparaître des mouvements affectifs plus authentiques. Derrière la violence d’un agir chez un adolescent ou un patient dément, nous sommes tentés d’oublier qu’il y a aussi dans ces actes là un certain désespoir et la tentative de retrouver une sorte d’unité perdue. L’acte peut alors s’entendre comme une sauvegarde, dans certains cas comme une véritable défense maniaque, une lutte anti-dépressive.

Ainsi, non seulement l’acte peut avoir une véritable fonction, être une suppléance à un affect insupportable ou inélaborable, mais il peut aussi traduire une forme de langage. C’est l’idée que défend René Roussillon : « Corps et acte ne sont pas seulement à considérer à partir de ce qui “s’évacue” en eux ou à partir d’eux, mais ils sont aussi porteurs d’un message potentiel et “proto-narratif”, donc d’une forme de “langage”, et ainsi comportent une ouverture possible au travail de symbolisation de l’expérience subjective. […] Ce qui apparaît au premier abord comme “pure décharge” livre alors la complexité signifiante qui l’habite. »  L’acte, tel qu’il est décrit ici René Roussillon, peut être envisagé comme une forme de langage qui, selon le degré de désorganisation du fonctionnement psychique de son auteur, traduira un langage plus ou moins archaïque et donc plus ou moins lisible : le langage du corps et de l’acte contient différentes capacités expressives des plus informes aux plus élaborées.

Une énigme mais en quête d’un destinataire…

« L’acte “montre” une pensée, un fantasme, il “raconte” un moment de l’histoire, mais il montre ou raconte à quelqu’un de significatif, il s’adresse.» 

Quelle valeur messagère l’acte contient-il en lui, à qui s’adresse t-il ? Le destinataire, s’il est bien souvent identifiable de prime abord ou bien au moins au fil de l’élaboration, reste inconnu dans un bon nombre de situations, en particulier quand le message provient du tréfonds de vécus archaïques, infra verbaux, donc. Le travail du destinataire du message sera alors complexe car nécessitant un effort de « traduction », afin de transformer le brut en quelque chose de représentable, de moins dangereux. Il s'agit de travailler à désexualiser les contenus débordants, retraduire les mouvements d’excitation brûlants et désorganisants en tendresse, en contenus inhibés quant au but. Ce travail de traduction passe non seulement par une attention particulière aux mouvements qu’expriment les patients mais aussi les soignants : en effet, on peut par exemple penser à l’identification projective qui traverse de manière insidieuse les équipes confrontées aux grandes désorganisations identitaires. Pourtant, elle permet aussi, quand elle est repérée, d’accéder au noyau primitif et de ressentir de manière auxiliaire des vécus restés à l’état brut. La métabolisation psychique d’une équipe, sa capacité d’occuper la fonction alpha décrite par Bion, soutient un début de symbolisation chez les plus déstructurées des personnes accueillies en institution. La valeur du travail pluriel, si elle n’est plus à démontrer, est ici plus que jamais incontournable. Le travail à plusieurs a l’immense avantage de faire coexister deux positions : fruit de l'alliance au sein de l’équipe, assumer une répartition des rôles qui soit claire et structurante, entre ceux qui soutiennent plutôt la mise en sens et ceux qui rappellent la Loi (la loi commune et les règles de vie en institution) quand celle-ci se trouve interrogée voire outrepassée. Etre plusieurs pour supporter les différents mouvements, être plusieurs avec une proposition plurielle quant aux espaces thérapeutiques proposés. L’intérêt des dispositifs institutionnels réside ainsi dans la diffraction de ces transferts parfois très violents. Pour qu’une contenance fonctionne, mettre en commun les parties clivées dont chaque membre du corps soignant se trouve être le dépositaire. Un travail d’élaboration et de co-construction attend donc les équipes afin de réunir les parties agies et clivées. Une certaine culture du questionnement clinique mais aussi éthique. Nous en venons donc naturellement à ce rôle si délicat qui incombe à une institution face à ce type de manifestations qui passent par le comportement.

Comment l’institution contient-elle d’une part et traite-t-elle les agirs des patients d’autre part ?

Une chose est sûre, la désorganisation et en particulier, quand elle se manifeste par le comportement, a des effets désorganisateurs indéniables sur les équipes et plus généralement sur les institutions. Il existe sans doute de nombreuses raisons pour expliquer cet effet miroir que provoque un certain type de fonctionnement sur les institutions accueillantes. Disons tout d’abord que l'agir convoque des modalités de réponses institutionnelles souvent plus réactives au comportement qu'élaborées. Certes, réflexion et tentative de mise en sens ne sont pas toujours possibles, surtout quand on sait combien l’acte vient mettre à l'épreuve les équipes et mobiliser un champ varié de contre-attitudes. Parfois, pris dans les mouvements institutionnels et dans l'ici et le maintenant de ce qu'il faut « gérer », on peut avoir tendance à oublier que les patients viennent nous raconter quelque chose de leur histoire, au travers de leurs agirs. L’acte, tel un enfant tyrannique, installe un climat d’urgence, l’affolement de devoir donner une réponse immédiate et il devient bien difficile de prendre de la distance, de différer la réponse pour tenter d'y mettre du sens. Devant cette exigence impérieuse que pose l’acte, la réponse d’une équipe peut alors prendre différentes formes : un durcissement éducatif comme par exemple la tentation d’exercer une emprise pour que ça cesse, les représailles sur le mode de la loi du talion, l’effondrement ou le désinvestissement, ou bien encore l’incestualité que peut induire par exemple, un relâchement du cadre ou l’effacement de la distance, de la dissymétrie nécessaire entre soignants et soignés et de la neutralité (le cadre est comme interdit fondamental : pour contenir l’excitation et se prémunir d’un trop grand rapprochement). Ces contre-attitudes là prennent alors le pas sur le désir de comprendre. Pourtant, une des choses les plus nécessaires dont les patients très désorganisés et agissant ont besoin, consiste à trouver un interlocuteur qui survive à la destructivité comme nous l’indique Winnicott. Au fond les patients répètent avec nous ce qui est souvent déjà une longue et ancienne chaîne répétitive, mais on peut espérer leur fournir les conditions de faire l'expérience thérapeutique d'une autre réponse.

PROGRAMME

Table ronde : « PASSAGES A L'ACTE : QUAND LE TIERS FAIT DEFAUT ?

« Agirs et dynamique du transfert avec l’adolescent », Florian Houssier

« Quand le passage à l’acte nous rend impuissant », Alain Braconnier

Table ronde : « LES AGIRS: QUELLE LECTURE DU COTE DES EQUIPES ? »

« Intrication traumatique : plongée dans les méandres institutionnels et remise en circulation des affects gelés », Anaïs Restivo-Martin et Elysé Linde

« Les équipes soignantes face aux agirs démentiels des âgés : les actes, les actions, les mots », Jean-Marc Talpin

Table ronde : « L’ACTE QUAND LA PAROLE FAIT DEFAUT? »

 « Penser la complexité des agirs chez les patients cérébro-lésés », Hélène Oppenheim

« Et rester Homme en dépit du sort », Jérôme Pellerin

Table ronde : « QUAND LA MISE EN JEU DU CORPS EST UNE NECESSITE »

« Douleur et agir : une patiente souffrant de fibromyalgie », Anne Maupas

« Excitation, pulsion au psychodrame », Isaac Salem

Table ronde : « AGIRS ET PASSAGES A L’ACTE : RECOURS DEFENSIF OU RECOURS EXPRESSIF ? »

« L'acte dans tous ses états », Dominique Bourdin

« Le groupe de parole à l’hôpital », Martine Ruszniewski

« L'agir au sein des groupes de psychothérapie analytique : transgression ou médiation ? », Anastasia Toliou

 

INTERVENANTS

Florian Houssier , Psychologue clinicien, Psychanalyste, Membre du Collège International de l’Adolescence (CILA), Professeur de Psychologie Clinique et de Psychopathologie, Unité Transversale de Recherches : Psychogenèse et Psychopathologie, Université Paris 13 - Paris Sorbonne Cité.

Alain Braconnier, Psychiatre, Psychanalyste, Diplômé de psychologie, Centre Philippe Paumelle, Responsable de la formation à l'APEP

Anaïs Restivo-Martin, Psychologue clinicienne, analyste en formation IPL-SPP, Clinique CLINEA La Chavannerie

Elysé Linde, Psychologue clinicien, Clinique CLINEA La Chavannerie

Jean-Marc Talpin, Psychologue, Maître de conférence à l'Institut de Psychologie de l‘Université Lyon 2 Louis Lumière et membre du Centre de Recherche en Psychologie et Psychopathologie Clinique (CRPPC)

Hélène Oppenheim, Psychiatre, Psychanalyste, Docteur en psychopathologie fondamentale, Membre de la SPF et de la Société Médicale Balint

Jérôme Pellerin, Psychiatre, Chef du service de géronto-psychiatrie, Hôpital Charles FOIX, AP-HP

Anne Maupas, Psychologue clinicienne, Psychanalyste membre de la SPP, Centre Alfred Binet (ASM13 Paris), Membre de l'IPSO

Isaac Salem, Psychiatre, Psychanalyste membre titulaire de la SPP, Médecin chef du service ETAP à la SPASM, Praticien hospitalier à l'hôpital Roger – Prévot

Dominique Bourdin, Psychanalyste membre de le SPP, Agrégée de philosophie, Docteur en psychopathologie fondamentale

Martine Ruszniewski, Psychologue, Psychanalyste, Institut Curie Paris

Anastasia Toliou, Psychologue clinicienne, Analyste de groupe, ASM13 Paris, Association Transition

Patrick de Saint-Jacob , Directeur de la Division Psychiatrie CLINEA

Charlotte Costantino, Psychologue clinicienne, Psychanalyste (SPP), Coordinatrice du Collège des Psychologues CLINEA-ORPEA

Anaïs Devaux, Psychologue clinicienne, Clinique CLINEA Villa des Pages (78), Référente Psychiatrie Collège des Psychologues CLINEA-ORPEA

Garance Belamich, Psychologue clinicienne, Clinique CLINEA Villa des Pages (78), Référente Pédopsychiatrie Collège des Psychologues CLINEA-ORPEA

Élisabeth Ferreira, Psychologue clinicienne, Résidence ORPEA Saint-Rémy-Lès-Chevreuse (78), Référente Gériatrie Collège des Psychologues CLINEA-ORPEA

Julie Platiau, Psychologue clinicienne, Clinique CLINEA Villa des Pages (78), Référente SSR Collège des Psychologues CLINEA-ORPEA

Catherine Fourques, Psychologue clinicienne, Résidence ORPEA Klarene (77)

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